Texte de l'intervention
Dans le cadre du séminaire annuel Femto-ST, ayant pour thème "Science et société"
Le 15 juin 2023
Slides disponible dans la barre latérale.
Photographies Xavier Vacheret.
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Présentation
Nous allons survoler les contours de ce projet, et puisqu'il est en cours, plus que sur la forme, je vais m'attacher à la manière dont il a pu émerger.
Je suis artiste-auteur depuis un bon moment, dans un premier temps dans le champ des arts graphiques. J'étais graphiste print et web, mais depuis un peu plus de 10 ans, je produis de l'"art numérique", en utilisant de manière expérimentale des outils conçus par et pour les ingénieurs, l'électronique, le code informatique, la fabrication numérique. J'utilise ces outils comme un autodidacte qui profite à plein du mouvement de démocratisation initié par des communautés du libre, tels qu'Arduino ou Processing. Je ne suis expert en rien mais un peu touche à tout, je profite des ressources partagées sous licence libre et de tout ce qui rend accessible la technologie aux non-techniciens. Cette pratique m'a amené, depuis environ 3 ans, à partager mon temps entre des projets artistiques et un emploi salarié au Fablab des Fabriques, atelier ouvert géré par Grand Besançon Métropole.
- Cela fait également une dizaine d'années que je co-anime un hackerspace associatif qui réunit lors de réunions assez informelles des gens de tous horizons. Ces gens ont un point commun, ils aiment confronter la technologie et la création artistique, que ce soit dans un cadre professionnel ou non.
C'est dans ce contexte "off" que j'ai fait la rencontre de Marion Delehaye, chercheuse CNRS à Femto-ST, et de son compagnon, ingénieur en physique. Et je dois le confesser, j'ai une forme de fascination pour les scientifiques, et un tropisme certain pour la science. Mes lectures, mes podcasts, sont pour beaucoup de la science. Je pense que la recherche scientifique et la pratique artistique partagent beaucoup, dans l'état d'esprit, dans la façon de travailler dans son atelier, dans la façon de confronter son travail quotidien aux autres, dans la manière dont ces métiers peuvent occuper l'esprit. J'en ai eu la preuve lors du travail effectué avec les étudiants de CMI et Sarah Ritter, lors de l'atelier Golab initié par Émile Carry.
Donc, lorsque Marion m'a proposé de visiter son labo il y a quelques temps... j'étais vraiment ravi. C'est elle, au moment du dépôt de son projet de laser supperradiant ultrastable à l'ANR, qui m'a proposé d'imaginer une collaboration autour de son travail. Après avoir effleuré quelques années auparavant ce type de collaboration avec un neuro-scientifique, la réponse positive de l'ANR au financement du projet a été la concrétisation d'envies présentes depuis longtemps.
- C'était il y a plusieurs mois déjà, mais pour une fois, il a été possible de laisser le projet maturer. Et aussi, dans l'intervalle assez long qu'a nécessité la recherche de la suite du financement, j'ai bouclé pas mal d'autres chantiers en cours. Aujourd'hui le projet entre enfin dans sa phase de production, et devrait être bouclé fin 23. Je vous ai compilé quelques recherches pour vous donner une idée des directions prises. Mais il reste encore pas mal de travail !
Très rapidement, j'ai compris que pour aborder ce projet, il allait falloir prendre du recul... En effet, Marion et ses collègues travaillent sur des échelles qui sont impossibles à appréhender. Sur des choses qui ne se voient pas. Votre monde est fait de charts, de courbes, de nombres, de pics et de franges. Même si, pour travailler, vous mettez en oeuvre beaucoup de mécanique, de l'électronique, de l'informatique. Mais pour vous, la physique, elle se passe dans l'imperceptible. Matière délicate à aborder.
- J'ai donc décidé d'élargir le champ, de comprendre pourquoi mesurer le temps est important, et comment trouver un élément qui pourrait faire entrer les non-scientifiques dans cette histoire. Je suis tombé sur cette histoire dont je n'avais jamais entendu parler de secondes intercalaires, qu'un comité décide, de temps à autre, d'ajouter ou de soustraire. 27 secondes dont la nature "humaine" apparaît de manière plus flagrante que les autres. Et qui permettent de mettre en lumière le fait que mesurer le temps, c'est avant tout comparer des variables physiques, des phénomènes cycliques. C'est ce rapport intriqué entre ce qui est une convention sociale humaine partagée, des phénomènes physiques immuables (l'oscillation du césium, mais aussi à une toute autre échelle les mouvements astronomiques), qui m'a amené à proposer que ce projet créé des secondes, des secondes propres à chaque spectateur de l'oeuvre, des secondes de temps artistiques.
L'envie, c'est de mettre le spectateur au milieu d'une table optique, avec des systèmes mécaniques qui entrent en oscillation les uns après les autres. Le spectateur, après avoir retourné un sablier, verra se mettre en mouvement successivement les différents modules. Ces modules seront tous une sorte de mélange de choses vues dans les labos, où qui ont un écho plus ou moins proche avec la perception que j'ai pu avoir de systèmes techniques utilisés dans les labos. Mais l'idée est de les réassembler différemment par analogie de forme, de sens, pour en faire des sculptures en mouvement. Ces systèmes fonctionneront précisément 27 secondes.
Mais en réalité, à l'issue de ces 27 secondes, c'est le temps de retour à l'immobilité, l'espèce de suspend que l'on peut ressentir lorsque un pendule oscillant effectue ses dernier mouvements avant de retrouver la verticale qui m'intéressent. J'ai envie de concentrer l'attention du spectateur sur ce moment là, et de proclamer que ce temps d'attention et de retour à l'immobile, ce sont des secondes de temps singulier chaotique. Chaotique, parce que quitte à s'amuser, on va essayer de faire osciller tout ce petit monde de manière un peu inattendue.
- Je vous propose maintenant de rentrer dans les détails techniques de ce que devraient être les différents modules. Le premier déclenche la suite, il demandera au spectateur d'effectuer une action, point de départ de la réaction en chaîne. Une fois retourné, le sablier jouera un jeu de miroir avec un oscillateur chaotique de Chua. C'est le rapprochement formel entre la forme du sablier et les attracteurs de Lorenz qui m'a interessé en premier lieu. Et l'envie de jouer avec le sablier pour créer une sorte de boucle de rétro action.
Un laser passe à travers le filet de sable. Le signal résultant est lu par une photorésistance. Les valeurs aléatoires qui en ressortent modulent un oscillateur chaotique de Chua. Mais cet oscillateur module en retour une bobine à travers laquelle passe le sable. Et vous l'avez deviné, le sable est magnétique. On aura donc un système qui de manière syncopée, arrêtera le temps de s'écouler pendant de brefs instants.
Ces modulations serviront de base à la création des mouvements du second module, et lui seront transmis de manière optique.
Au passage, j'ai été ravi de décopuvrir l'article de Jean-Michel Friedt dans Hackable Magazine, qui s'intitule "Évolution d'un système chaotique en virgule fixe".
Prototype réalise avec le logiciel libre Kicad.
- Ici, l'idée est de jouer avec les oscillations d'un pendule et de la pure mécanique. Le pendule est libre, mais ses mouvements sont captés au sommet par un magnétomètre 3 axes. Ces mouvements sont synchronisés avec une source lumineuse, qui suit l'extrémité du pendule. Entre les deux, un disque translucide sous lequel pointe un gnomon. Vu du dessus, le pendule projette l'ombre d'un objet invisible. Avec ce module, on parle de différents objets relatifs à la mesure du temps au cours de l'histoire. La partie mécanique est sans doute le plus gros défi de tous le projet.
- Ce système est lui né des images d'analogies que je me suis créé en essayant de visualiser les cavités Fabry Perot. Et l'envie de prendre le contre pied de toute les contre mesures mises en place pour contrôler la précision de l'écartement des miroires, cryogénie, usinages d'un précision surnatuelle. Ici, un miroir se déplace, l'autre tente de garder la distance précisément. Mais j'ai envie de créer des embuches dans le chemin de l'information. Le perturber, peut être en se basant sur des ondes radio, sur des milieux hétérogènes, etc... L'objectif est de multiplier les miroirs, les décalages et les mouvements les micro retards, pour espérer des effets de phases, de vibrations, des synchronisations spontanés de période...
- Ici l'idée sera purement visuelle. Elle est née de la découverte d'un projet de projecteur laser DIY. Un laser, deux miroirs sur des moteurs. Et la persistance rétinienne qui fait son job pour nous laisser apparaître les formes. À l'état stable, une ligne projetée sur une surface hémisphérique. À l'état instable, le faisceau qui s'éclate progressivement pour créer des constellations. On parle ici speckle, lunette méridienne, lasers et miroirs. Plusieurs ingrédients condensés...
- Ce projet est majoritairement financé par l'ANR et par la DRAC Bourgone Franche Comté. La Ville de Besançon vient complèter le budget global. Je remercie évidemment ces partenaires.
Je tiens à remercier Marion Delehaye pour cette collaboration, qui m'entrouvre une lucarne sur la science en train de se faire. Merci également à Xavier Vacheret qui s'est proposé de documenter le projet. Merci à toutes les chercheuses et les chercheurs que j'ai pu croiser dans la salle à café lors de ma courte résidence, et qui ont toujours été au moins aussi curieux que moi. Merci à Océane Gusching pour ses échanges et ses conseils de lecture. Et merci à vous pour cette invitation.